Concours de la meilleure proposition de réforme constitutionnelle – Double-diplôme droit français et anglais

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Avant-propos

Par Laure Sauve, Co-Directrice du Double-Diplôme Droit anglais et français (Université d’Essex)

Le 19 mars dernier, plus de 90 étudiants du double-diplôme ont assisté à la remise de prix d’un concours de droit constitutionnel. L’objectif de cette compétition était de faire réfléchir les étudiants sur la Constitution actuelle : quelle sont les améliorations possibles du texte de 1958?

La toute récente dissolution de l’Assemblée nationale par le Président Emmanuel Macron et les tensions entourant les récentes élections législatives montre la nécessité de révision de la Constitution. Les excellentes propositions de réforme présentées par les douze équipes ayant participé au concours, fidèles à l’esprit républicain, peuvent être vues comme une lueur d’espoir dans ce climat d’incertitude et d’angoisse. Appelés à voter depuis peu, juristes et acteurs politiques de la France et de l’Europe de demain, les étudiants du double-diplôme ont montré que la «valeur n’attend point le nombre des années» (Pierre Corneille, Le Cid).

Concours de la meilleure proposition de réforme constitutionnelle: des étudiants en droit revendiquent plus de Démocratie

Par Maëlle Prugnolle, étudiante en première année de droit au sein du Double diplôme en droit français et droit anglais (Université d’Essex)

En démocratie, la participation des citoyens au pouvoir est en principe centrale. Or, avec l’adoption lors de la Révolution française de 1789 du système représentatif, la participation citoyenne se manifeste essentiellement dans le suffrage, limitant fortement le rôle des citoyens. Il en va ainsi en matière constitutionnelle, les citoyens étant associés soit indirectement (par le biais de représentants élus par les citoyens) soit directement (par le biais de référendums) à l’établissement et à la révision de la Constitution. Alors que la Constitution est le texte fondamental comprenant les règles organisant les pouvoirs publics, le fonctionnement des institutions et les libertés des citoyens, le très faible nombre de révisions constitutionnelles adoptées par référendum sous la Vème République (seulement deux en 1962 et en 2000), ainsi que l’absence d’initiative populaire en matière constitutionnelle restreignent encore davantage la capacité des citoyens à exercer pleinement leur rôle. Face à ce constat, l’expérience du concours de la meilleure proposition de réforme constitutionnelle organisée à l’Université d’Essex est riche d’enseignements:

  • Elle montre tout d’abord que les étudiants souhaitent proposer des améliorations à notre texte constitutionnel.
  • Elle montre ensuite que la majorité des propositions, notamment la proposition de l’équipe gagnante, appellent à des formes plus directes et accrues de participation populaire/citoyenne.

Qu’est ce que le concours de la meilleure proposition de réforme constitutionnelle?

Inspirée par des expériences similaires organisées dans plusieurs universités françaises, notamment celle de Caen, Eugénie Duval (Lecturer à l’Université d’Essex), a eu l’idée de créer ce concours à Essex. Ouvert aux étudiants de première et deuxième année du double diplôme de droit français et droit anglais, le concours a eu pour objectif d’offrir à ceux-ci un moyen innovant d’en apprendre davantage sur le droit constitutionnel français et de mettre leurs connaissances en pratique. En effet, comme l’a souligné Etienne Durand (Lecturer à l’Université d’Essex), membre du jury, le droit constitutionnel, avec ses concepts abstraits et ses bases théoriques et politiques complexes, déstabilise souvent les étudiants de première année de droit. En tant que fondement de l’ordre juridique, la maîtrise du texte constitutionnel est perçue comme laborieuse. À Essex, le rythme particulièrement soutenu des cours, exacerbe ces difficultés, pouvant fausser la perception globale du droit. Le concours de la meilleure proposition de réforme constitutionnelle a alors permis de donner vie aux notions de droit constitutionnel étudiées en cours, de mieux comprendre les enjeux qui le parcourent, et ainsi d’avoir l’opportunité de «réfléchir et remettre en question la Constitution et son fonctionnement» (Retour d’étudiantes concourantes: Annaëlle Paul-Dauphin et Margot Giguere).

Pour cette première édition, le concours a rencontré un franc succès avec la participation de 12 équipes, composées d’étudiants de première et de deuxième année  (soit 32 participants). Cette collaboration interpromotionnelle a permis de combiner les connaissances en droit constitutionnel des premières années avec la maîtrise plus avancée des méthodologies et des réflexes juridiques des deuxièmes années. Les étudiants ont eu quatre semaines pour réfléchir et proposer l’équivalent d’une proposition de loi constitutionnelle avec un intitulé, un exposé des motifs et un ou plusieurs articles contenant la révision proposée. Il a alors fallu que les participants fassent preuve d’analyse critique et de créativité, se familiarisent avec la recherche et la littérature technique relative au sujet choisi, et établissent des liens entre les aspects théoriques et pratiques de la proposition. Pour les aider, après deux semaines de travail en équipe une rencontre a été organisée par Eugénie Duval, Sophie Duroy, et Etienne Durand, afin que les étudiants aient un retour sur leurs travaux.

Liste des propositions des 12 équipes concourantes:

Proposition de loi constitutionnelle visant au renforcement de la démocratie semi-directe sous la Veme République (Élodie Leatham-Smith, Margaux Mimalé, et Inès Robert-Archambeau)

Proposition de loi constitutionnelle visant à relocaliser la démocratie au profit d’une implication plus direct des citoyens (Annaëlle Paul-Dauphin, Margot Giguere)

Proposition de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, respectueuse de la séparation des pouvoirs et une modernisation des institutions de la Ve République (Clarisse Videau, Harrisson Chauve, Maxence Debruyne-Robert)

Proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir les droits fondamentaux des femmes relatif aux violences verbales et physiques et, à l’interruption volontaire de grossesse (Alix Chambariere, Maëlle Daude)

Loi constitutionnelle d’intégration des enjeux contemporains à la Constitution de la Ve République (Romane Houeix, Aurélien Wogue, Étienne Raout)

Proposition de loi constitutionnelle visant à renforcer le contrôle des actions parlementaires et des membres du gouvernement afin de protéger le principe constitutionnel d’égalité (Joséphine De Bazelaire, Cholé Hairie, Naomie Hosdez)

Proposition de loi constitutionnelle pour un renouveau de la participation citoyenne (Clémentine Raveleau-Torres, Manon Cusco)

Proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir les droits et libertés fondamentaux contenus dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 (Axelle Khalfi, Hind Boucceredj)

Proposition de loi constitutionnelle visant à réformer l’élection du Président de la République au suffrage universel direct et encadrer ses pouvoirs pour une lecture parlementaire de la Constitution (Line Simon, Sarah Loron, Aloïs Moliard)

Proposition de loi constitutionnelle relative à la procédure législative et la dénationalisation du Parlement (Yasmin Jemmett, Lou Frere, Fatou Ndiaye)

Proposition de loi constitutionnelle visant à protéger l’usage et l’apprentissage des langues régionales (Loïza Gestin, Sarah Payan, Charlotte Gimenez-Ares)

Proposition de loi constitutionnelle relative à la composition de l’Assemblée Nationale ainsi qu’à la désignation du premier ministre (Inès Piguel, Audrey Trancart, Romain Ballestra)

Les participants au concours ont également dû travailler sur leur capacité à s’exprimer à l’oral et à travailler et collaborer en équipe, afin de préparer leur passage à l’oral lors de la cérémonie de remise de prix. À l’issue des délibérations du jury (composé de quatre membres de l’équipe enseignante du Double diplôme), quatre propositions ont été retenues: la proposition gagnante, mais également trois autres propositions pour le «prix étudiant».

En effet, le corps professoral désirait que soit également décerné un «prix étudiant», qui récompenserait la proposition élue directement par les étudiants du double-diplôme. Lors de la cérémonie du 19 mars 2024, les 3 équipes pré-sélectionnées ont ainsi pu, munies d’un support visuel ou non, présenter leur projet devant les 90 étudiants présents.

Étudiants du double-diplôme présent lors de la cérémonie de remise des prix

Ces derniers ont alors voté à l’issue de ces présentations pour qui leur proposition préférée. La proposition qui a remporté le plus de suffrages fut celle de de Romane Houeix, Aurélien Wogue et Étienne Raout, intitulée l’«intégration des enjeux contemporains à la Constitution de la Vème République».

Étienne Raout, Romane Houeix et Aurélien Wogue: Équipe ayant remporté le prix étudiant

En plus de l’équipe gagnante et du prix étudiant, l’équipe de Line Simon, Sarah Loron, et Aloïs Moliard s’est vu décerner le troisième prix avec leur proposition de réforme constitutionnelle visant à «réformer l’élection du Président de la République au suffrage universel direct et encadrer ses pouvoirs pour une lecture parlementaire de la Constitution».

Line Simon, Aloïs Moliard, et Sarah Loron présentant leur proposition de réforme constitutionnelle, arrivés en 3e place

Les trois équipes arrivées en tête, ont reçu plusieurs prix pour les récompenser. Les gagnantes ont remporté une demi-journée découverte à l’ambassade de France à Londres, mais également, au meme titre que les deux autres équipes, des livres offerts par les Éditions Lefebvre-Dalloz et une visite du cabinet d’Aurore Brunet, ancienne étudiante du double-diplôme aujourd’hui avocate en Corporate Law chez Loyens Loeff.

Qu’est-ce une bonne proposition de révision constitutionnelle? 

Les membres du jury du concours, ont lors de leurs délibérations appuyé leur décision sur plusieurs critères essentiels. En premier lieu, la rigueur juridique qui implique une connaissance approfondie de l’état actuel du droit constitutionnel, ainsi que de la hiérarchie des normes et des procédures nécessaires pour mettre en œuvre la réforme proposée. Il était crucial de démontrer pourquoi le changement apporté ne peut pas se contenter d’une simple évolution législative ou réglementaire, mais nécessite une révision constitutionnelle. Les fondements juridiques à l’appui des développements devaient alors systématiquement apparaître pour renforcer la crédibilité de la proposition.

Ensuite, la clarté de la présentation était cruciale. Il était important de bien expliquer pourquoi le changement est nécessaire, en quoi l’état actuel du droit pose problème, et comment la révision constitutionnelle peut corriger ce problème. Il convenait également de détailler les implications concrètes du changement proposé, en expliquant comment il affecterait le quotidien des citoyens. Une présentation claire et bien structurée permettait de bien faire comprendre les enjeux de la réforme, en dépit, le cas échéant de sa forte technicité. De fait, comme l’a souligné Laure Sauvé, membre du jury et directrice du Double diplôme, « il était important que les propositions soient limpides pour être parfaitement compréhensibles par l’ensemble des citoyens. Une présentation claire et accessible permet de s’assurer que tous les citoyens, quel que soit leur niveau de connaissance en droit, soient en mesure de comprendre et évaluer la pertinence et l’impact de la proposition ».

Le style rédactionnel et la qualité formelle ont également joué un rôle déterminant. Que ce soit dans le texte de la proposition ou dans le support de présentation, l’absence de fautes, de formulations peu claires ou d’erreurs de langage était essentielle. Une rédaction soignée et un support de présentation original et bien conçu comme une vidéo (parfois avec une note d’humour), ou même un site internet, ont pu en effet grandement améliorer l’impact de la proposition.

Enfin, l’originalité des propositions a également été prise en compte. Il était d’ailleurs essentiel pour Eugénie Duval que les étudiants choisissent un sujet et une problématique qui les intéressent vraiment, afin d’apporter un regard neuf et une approche originale et unique. Cela s’est reflété dans la qualité de l’argumentation et de la présentation de toutes les propositions, ce qui n’a pas manqué d’impressionner grandement le jury.

L’équipe gagnante: Proposition de loi constitutionnelle visant au renforcement de la démocratie semi-directe sous la Vème République

Elodie Leatham-Smith, Margot Mimalé et Inès Robert-Archambeau: Gagnantes de cette première édition du concours de la meilleure proposition de réforme constitutionnelle

Immédiatement séduites par l’idée d’un concours mettant en pratique une matière «coup de cœur» et leur offrant l’opportunité de défendre leurs idées, Élodie Leatham-Smith, Margaux Mimalé, et Inès Robert-Archambeau, étudiantes de première année, ont fait l’unanimité. Les membres du jury ont salué la grande qualité rédactionnelle de leur proposition de révision constitutionnelle. Par ailleurs l’argumentaire juridique et factuel très établi, porté par une véritable démarche scientifique, le lien systématique entre les propositions et une situation sociale problématique, l’explication constitutionnelle du projet et l’apport que leur révision pourrait avoir, ont séduit le jury.

Néanmoins, leur cheminement de pensée a été long. Après avoir initialement envisagé une réforme similaire à celle de 2008, modifiant la Constitution article par article, elles ont finalement décidé de se concentrer sur l’approfondissement de la démocratie semi-directe. En constatant que les changements de 2008 — qui accordaient plus de pouvoir au législatif et réduisaient celui de l’exécutif — avaient conduit pour elles à une certaine «inefficacité», et, que le référendum d’initiative partagée était resté «inabouti en raison de son manque de réalisme», elles adoptèrent une nouvelle approche. Leur objectif a donc été de proposer un renforcement du pouvoir et de la voix du peuple en approfondissant la démocratie semi-directe et en assurant l’efficacité des réformes de 2008 susvisées.

Elles ont également été inspirées et motivées par l’actualité en France. Elles ont en effet constaté que les citoyens étaient véritablement mis de côté, souvent réduits à de simples spectateurs dans l’attente d’une décision, notamment en ce qui concerne l’inscription de l’Interruption Volontaire de Grossesse dans la Constitution, plutôt que d’être des acteurs directs de cette décision. Elles ont jugé cette situation inacceptable, surtout compte tenu de l’importance de cette proposition.

La proposition de loi constitutionnelle présentée par Élodie Leatham-Smith, Margaux Mimalé, et Inès Robert-Archambeau vise à adapter la Constitution de la Vème République aux réalités contemporaines en matière démocratique. La proposition part d’une illustration concrète d’une crise de la représentation démocratique en France, caractérisée par une abstention électorale croissante (de 22,8% en 1958 à 52,3% en 2022, aux élections législatives) et une perte de confiance des citoyens envers les institutions et la classe politique.

Elles ont alors décidé de renforcer la démocratie semi-directe en France en introduisant plusieurs mesures clés.

  • Affirmer le caractère participatif de notre régime politique: Tout d’abord, leur proposition de loi prévoit d’ajouter explicitement à l’article 3 de la Constitution que «la République française est une démocratie semi-directe», clarifiant ainsi le caractère participatif du système politique.
  • Faciliter l’organisation des référendums  En modifiant l’article 11 de la Constitution, leur proposition vise à abaisser les seuils nécessaires pour l’initiative des référendums et à introduire des référendums d’initiative partagée, pouvant être lancés par le Parlement ou par le peuple via des pétitions. Cela permettrait alors de pouvoir faire évoluer la Constitution «au rythme de notre société», et de pouvoir enfin faire en sorte que les citoyens soient dotés d’un pouvoir de proposition, suspension et abrogation d’une disposition législative. Selon les étudiantes: «Le référendum d’initiative partagée ne serait alors plus un simple leurre ou illusion démocratique mais le véritable aboutissement d’une volonté vieille de plusieurs siècles».
  • Institutionnaliser les Conventions Citoyennes: Depuis la réforme de 2021, les conventions citoyennes, composées de membres tirés au sort, assistent le Conseil économique, social et environnemental (CESE). Elles favorisent le débat sociétal, comme la convention sur la fin de vie en 2023, mais leur impact reste limité, dépendant du CESE ou du gouvernement. Pour consolider leur rôle, il est proposé de les institutionnaliser en tant qu’outil parlementaire via l’article 51-3 de la Constitution, renforçant ainsi la participation citoyenne dans le processus législatif. 
  • Faciliter les référendums locaux: Le référendum, bien que prévu en France à l’échelle locale depuis 2003, est limité par des conditions strictes qui entravent sa mise en œuvre. Pour impliquer davantage les citoyens, comme en Suisse ou dans la démocratie athénienne, il est proposé d’assouplir ses conditions d’application en réformant l’article 72-1 de la Constitution. Cela permettrait d’offrir aux citoyens un véritable pouvoir décisionnaire dans leur collectivité, proche de leur vie quotidienne.
  • La suppression de l’alinéa 3 de l’article 89 de la Constitution: L’alinéa 3 de l’article 89 de la Constitution devrait selon cette équipe être supprimé pour permettre au peuple de décider directement des modifications constitutionnelles. Par exemple, les Citoyens n’auraient pas dû attendre la décision du Parlement réuni en Congrès le 4 mars 2023, et auraient du pouvoir s’exprimer directement par les urnes sur le droit à l’interruption volontaire de grossesse.
Aurore Brunet, ancienne étudiante du double-diplôme et aujourd’hui avocate,
qui remet le prix à l’équipe gagnante

Ce concours a offert aux étudiants la possibilité de montrer leur intérêt pour les questions constitutionnelles et d’être force de proposition. À l’image de l’équipe gagnante, les 32 étudiants ayant participé au concours ont témoigné d’une réelle volonté de renouer avec une démocratie plus directe, avec la parole, les envies et les besoins des citoyens. Enfin, il est apparu comme évident que l’intégration des jeunes générations au sein de ces défis démocratiques, qui seront très bientôt les leurs, est pour eux une priorité fondamentale et une source de grande motivation.

Remerciements: L’équipe du double-diplôme tient à remercier vivement Aurore Brunet ainsi que le cabinet Loyens Loeff, les Éditions Lefebvre-Dalloz et l’Ambassade de France au Royaume-Uni. Merci enfin à Maëlle Prugnolle pour son implication dans l’organisation de ce concours.

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